vendredi 2 mars 2012

Penses-tu déjà à l’amour (virtuel)?


Dans les années 80 nous avions à Cuba un petit livre hérité des soviétiques (surprenant, n’est-ce pas ?) nommé « Penses-tu déjà à l’amour ? » (on aurait dû le nommer « Penses-tu déjà à FAIRE l’amour » ? mais n’y pensons pas maintenant). Peu d’entre nous ont eu la chance de le lire, mais nos frères ainés nous torturaient avec son existence. Les descriptions de changements corporels à venir et les dessins d’hommes et femmes dans des postures audaces ont fait de ce petit livre un bestseller dans ces légions communistes.

Je ne sais pas si on continue à le publier, ou s’il a les mêmes effets sur les adolescents (mais je m’en doute; avec l’ère digital ces gamins ont déjà vu beaucoup de choses), mais je suis certain que, au cas où il est encore publié, il faut déjà ajouter un nouveau chapitre consacré à ce nouveau terrain d’action de Cupide appelé « le cyberspace ».

Dans un clin d’œil il s’est faufilé dans nos vies. Auparavant si on demandait à un couple où ils s’étaient connu, on entendait des choses de la sorte de « Au cinéma », « À Coppelia » (la plus grande crémerie du pays, donc le lieu le plus populaire de l’île) ou même (très populaire vers les années 70 et 80) « j’ai appelé à un mauvais numéro et nous sommes restés à parler pendant toute la nuit ». Maintenant, c’est pas rare de trouver « Je l’ai connu au chat » ou « Facebook me l’a recommandée ». Et c’est bien ça, c’est toujours bon l’accroissement des endroits pour fomenter l’amour. Peu importe s’il y a des films, des glaces ou des buttons « j’aime » involucrés. Mais attention : même si l’aire virtuelle c’est spéciale dans plus d’un sens, elle possède des caractéristiques inhérentes qu’on doit connaître afin de ne pas tomber dans ses pièges.

Tout commence face à un ordinateur branché à l’Internet. Vous serez peut-être surpris mais ces ordinateurs ne constituent que le 2 % de la totalité de ceux du pays (vous pouvez maintenant commencer à oublier votre rêve de venir habiter à Cuba). Un jour où l’on va à la fac faire un rapport ou chez un ami pour consulter le courriel. Différemment des autres classiques terrains de l’amour déjà vus, pour produire un bon effet initial dans le chat peu importe si nos chaussures sont bons ou même si nous nous avons lavé le visage (ça sonne bien, non? Chat 1 – Coppelia 0)

Tout d’un coup quelqu’un (on le nommera Andrés82 pour les effets pédagogiques de ce post, mais il pouvait être Alina65 ou Yuri26) « clique » sur nous et nous surprend avec un chaleureux « salut » (90% des fois avec « s » minuscule). Immédiatement – n’essayez pas de le nier, vous savez que c’est comme ça – on attribue des caractéristiques idéales à Andrès82 seulement pour avoir écouté un mot provenant de sa bouche (ou clavier). Il est intelligent, beau, athlétique, pas exagérément costaud, mais pas non plus mince. Il a les yeux clairs et porte le 45 en chaussures (et nous savions tous ce que ça veut dire). Il a un passé amoureux, bien sûr (au cas contraire, il serait bizarre et pathétique) mais ce n’est pas important. Rien qu’il ne puisse laisser derrière lui…avec toi. Andrés 82 : L’HOMME IDÉAL.

Ce magnifique paysage ne va pas tarder à commencer à s’effacer. Andrés82 habite avec 8 personnes, il va souvent chez l’ophtalmologue parce qu’il voit de moins en moins et il a une faute d’orthographe tous les trois mots. Mais de toute façon – ne le niez pas, nous sommes des optimistes per se – nous préférons de nous concentrer sur les bonnes choses. Parce que l’euphémisme est très répandu dans l’internet. D’abord, il n’a plus de noirs dans cette île, ils sont tous devenus «de très clairs mulâtres» ; les gros deviennent « entre gros et mince » et les laids se définissent eux-mêmes comme « ayant un visage spécial ». Je dis toujours « mince ». Désormais je dirai « maigre ». (Ce blog commence à avoir un effet positif sur moi, bravo).

Et donc, après un temps de conversation banale où Andrés (ha, on commence à se tutoyer) parle de sa famille, du climat et de sa passion pour la peinture abstraite, l’un des deux va lancer la question qui changera pour toujours le cours de votre relation : « dis donc, tu as une photo ? » Et donc, après un échange et téléchargement de fichiers, et un commentaire flatteur de la part d’Andrés82 en faisant référence à ta photo, on se trouve finalement face à face avec le si attendu visage de l’homme de ta vie.

Bon, c’est un moment incommode. Andrés82 ce n’est pas du tout comme tu y avais songé. Même s’il est dans une bonne photo (parce que tout le monde envoi leurs meilleures photos ; Dieux bénisse les caméras digitales : on efface les photos que nous n’aimons pas, on garde les bonnes et on se force à croire que nous sommes comme ça). Dans ce moment on se souvient qu’il a dit que ces amies lui disaient qu’il était beau. Quelles espèces d’amies sont celles-là ?

Mais après nous nous rendons compte que nous me sommes pas non plus parfaits, que notre solitude c’est grande et que la vie est difficile. Ce type aime la peinture abstraite, il ne peut pas être si mauvais que ça. Donc, à son « Quelle est ton opinion de la photo ? Si tu ne l’aimes pas, tu n’as qu’à le dire » tu réponds avec un « Tu es exactement comme je me figurais ». Ça – ne le niez pas – c’est un gros mensonge.

Et on décide donc de se connaître personnellement : il n’est pas si loin, vous êtes tous deux au même Vedado (s’il était joli il serait dans un autre continent). Mais pas Andrés82 : il est juste là, donc on décide de ne plus étendre le moment de faire la connaissance et on choisit le lieu, généralement à une distance intermédiaire entre les deux et avec un cinéma, un parc ou une école comme point de référence. Nous y attendons impatiemment, en nous questionnant comment seraient nos vêtements et nos cheveux, quand tout d’un coup on voit Andrés82 apparaître. Il fait 1.52 de hauteur, comment a-t-il pu l’omettre ?!!!!! Et c’est encore pire que sur la photo parce qu’il a travaillé toute la journée et il est épuisé. Soudain, on ne s’intéresse plus à nos tenures ou coiffures : on se croit Brad Pitt.

C’est l’heure de finir avec ça” nous nous disons. Mais nous avons été bien éduqués et nous savons que nous ne pouvons pas nous en aller juste comme ça. Donc on s’assoit dans un parc et on prie en secret pour que personne de connu ne passe par là. On parle des choses banales, telles sa famille, le climat, sa passion pour la peinture abstraite…je m’en fous de la peinture abstraite, c’est elle la coupable que je sois là avec ce gnome ! Finalement on regarde la montre et on dit que notre tante nous attend, que la chatte n’a pas mangé et qu’on a beaucoup à traduire. Lui, habitué, secoue le visage et dit qu’il a été un plaisir de nous connaître.

À ce point là, il est inévitable de ressentir quelque tendresse par Andrés82. Il n’est pas méchant, après tout. Et ce n’est pas sa faute à lui s’il est loin d’être parfait physiquement. Sans doute il aura d’autres vertus plus importantes. Et on ne peut pas laisser de se souvenir au moment où nous avons été nous-aussi Andrés82 pour quelqu’un d’autre qui considérait qu’il était supérieur à nous et nous a dit les mêmes choses que nous venons de dire. Et nous pensons à notre dernière relation, et à comment là le facteur physique n’importait pas parce qu’il y avait quelque chose de plus. Et on se sent mal, seuls et pathétiques. C’est parce qu’on méconnaissait les règles de l’amour virtuel et il aurait fallu que un bouquin nous les apprennent quand nous étions jeunes. Mais ça n’a pas été le cas.

Bien sûr, ce n’est pas toujours comme ça. J’imagine qu’il y a ceux qui se marient et vivent plusieurs années après s’être rencontrés au chat. C’est bon ça. J’aime l’idée de voir de petits enfants qui crient de joie en disant que ses parents se sont connus au cyberspace et ils ont été heureux toutes leurs vies.

Mais ceux ne serons jamais nous (ou quand même pas moi). Donc, après quelques jours en évitant les ordinateurs pour essayer d’oublier l’affaire, on revient à la fac ou chez un ami, et après avoir fait le rapport ou consulté notre courriel, on ouvre le chat et on attend patiemment que quelqu’un nous disent « salut » avec « s » minuscule pour pouvoir penser ce n’est que pour une minute – ne le niez pas, c’et toujours comme ça- qu’on a trouvé la personne idéal. Et donc tout recommence.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire